mercredi 12 janvier 2022

Le jour où je suis allé sur la tombe de Géronimo.


   C'était aux Etats-Unis, en Oklahoma, mon ami Hall, un illustrateur américain qui parlait un peu français et qui était d'une gentillesse immense comme le grand canyon, m'avait pris chez lui et conduit dans une longue balade sur les routes de sa région du monde. Nous avions fait un passage sur la mythique Road 66 qui part de Chicago pour s'arrêter en Californie. Les Etats-Unis me font toujours rêver. Les déserts les montagnes, les rochers arides immenses, les hauts buildings, les larges avenues, les longues voitures, les bus jaunes, le drapeau étoilé qui flotte un peu partout. Et la campagne, et les ranchs, et les chevaux, et les bisons, et les chapeaux, l'espace partout. Le souvenir des films et des séries télé de mon enfance reste vivant, Starsky et Hutch, Dallas, La petite maison dans la prairie, Steve McQueen. Et bien sûr, et surtout, les western, , Charles Bronson, John Wayne, Kirk Douglas, Robert Mitchum, les forts, les pantalons bleu et jaune, les gants blanc, le clairon, l'armée dans l'ouest, les indiens, les chevauchées, les colts... Le cinéma m'a fait aimé ce que je n'ai jamais vécu. J'étais heureux comme un gosse, le jour où j'ai assisté à un vrai rodéo, lors d'un autre voyage, en Indiana cette fois, sur des chevaux, sur des boeufs énervés, de vrais cow-boys, les yeux émerveillés. C'était dans une foire agricole. J'y ai vu une magnifique selle en cuir, typique, superbe travail d'artisan, des bijoux indiens, j'y ai essayé un beau chapeau « made in China ». J'en achèterai un autre ailleurs, « Made in Houston, Texas » cette fois.


Mon ami Hall avait écrit et illustré un livre sur la route 66 qu'il m'avait offert, « Emma doesn't want to race today ! She's in love with Route 66 ! », l'histoire d'un pigeon voyageur qui faisait des escales tout le long. Sur les routes d'Oklahoma, nous avons roulé des dizaines de kilomètres, route droite et champs de maïs à perte de vue. Route longue, monotone, parsemée d'une ferme rouge de temps en temps ou d'un derrick puisant le pétrole en faisant « oui » de la tête, inlassablement. Nous nous sommes arrêtés dans un petit restaurant classique où nous avons mangé un excellent hamburger avec une bonne viande, bien cuite. Avec la joie d'être là, je regardais passer les Harley et les Trucks aux chromes scintillants. Hall était âgé, très âgé, c'était un vétéran de la seconde guerre mondiale. A 18 ans, il avait mis les pieds en France, il avait fait le célèbre débarquement de Normandie dans mon pays. Nous nous sommes arrêté à un monument aux morts, souvenir rendu à ces jeunes tombés sur les plages du Nord de la France, qui n'ont pas eu le temps de voir Paris. Ces jeunes qui avaient tout une vie devant eux, des rêves, des désirs, des envies, des copines, des projets, une vie à eux, bien à eux, qu'eux seuls pouvaient vivre. Ces jeunes tombés, par milliers, fauchés par la folie et la barbarie de quelques égoïstes mégalomanes. Quand j'ai demandé à Hall comment c'était la guerre, il m'a simplement répondu que ce n'était pas comme dans les films. Il n'en a pas dit plus. Savoir quelque chose, c'est le vivre. Je ne saurai jamais la guerre. Heureusement. La cruauté des uns détruit la vie des autres. Hall fut blessé assez vite au débarquement et rapatrié à Londres. Les trois-quarts de son régiment ne sont pas rentrés chez eux. Je pense à tous ces parents endeuillés, brisés, à toutes ces fiancées qui se retrouvaient seules. Je pense à toutes ces choses belles et formidables qu'auraient pu faire ces hommes au cours de leur vie, ce qu'ils auraient pu inventer, découvrir, bâtir, offrir au monde. Je pense aux générations qu'ils auraient pu faire naître et à tout ce que ces générations auraient pu faire. Des médecins, des pompiers, des écrivains, des découvreurs, des musiciens, des acteurs que nous ne verrons jamais. On ne mesure pas tout ce dont une guerre nous prive. Le monde est lacéré, blessé de tant de perte, de tant de gâchis. Hall est très âgé maintenant, et toujours motivé, passionné, content, il déborde d'énergie. Il est un exemple de force et de vie pour moi. Quelle chance de l'avoir rencontré. 


Oklahoma. Road. Hall m'emmène en haut d'une colline où on trouve tout du long d'énormes rochers ronds. Paysage de western. Nous avons traversé des territoires indiens. Nous nous sommes arrêtés dans un musée consacré à l'histoire d'une tribu. Je ne savais pas qu'il y avait autant de tribus indiennes dans le Nord de l'Amérique, des dizaines, la plupart aux noms qui me sont inconnus. Dans ce musée, un village en bois est reconstitué à l'identique et à l'échelle véritable, sur un grand terrain. Tous les indiens n'étaient pas nomades, il y avait d'autres types d'habitations que les tipis de peaux, des maisons en bois, des maisons en terre. Le cinéma nous donne une image du monde, sur tous les sujets dont il parle. Une image sélectionnée, partielle, hypertrophiée, un gros plan dans la lumière pour le besoin du spectacle. Il y a la réalité et le spectacle, le monde et le spectacle, la vie et le spectacle, le vécu et le représenté, fixé, caricaturé, un gros plan qui prend toute la place dans nos mémoires et nos imaginations. Un détail qui efface tous les autres. Le cinéma est puissant.


Dans un autre musée, à Oklahoma City, toute la vie de l'Ouest américain y est représentée. J'y ai vu des sculptures en bronze sublimes représentant des indiens, des peintures superbes de l'époque de la conquête, un puma immense en marbre blanc dans le hall, des chariots, des vêtements, des ustensiles et dans une grande vitrine, plaisir de gosse, les effets personnels de John Wayne, lègue de sa famille. Armes, chapeaux et le bandeau de True grit. Tout cela émerveille le gamin que je suis resté et m'impressionne beaucoup. J'aime particulièrement les sculptures que je dévore des yeux. Comme j'aimerais y retourner et y passer plus de temps, seul. Sur la route avec Hall, nous croisons des bisons. D'abord, de loin, j'aperçois un troupeau dans la prairie qu'on longe, puis, juste au bord de la route, un bison, massif et magnifique, paisible comme les vaches chez nous. Les voitures ralentissent, les passagers prennent des photos, le bison ne bronche pas. Il est majestueux. Nous continuons, nous nous arrêtons dans un autre musée, sur la faune et la flore de la région. J'y dessine le croquis rapide d'un bison empaillé, deux indiens passent et l'un d'eux regarde mon dessin, ravi, l'autre évite et s'éloigne. Nous reprenons la route et faisons une étape particulière à laquelle je ne m'attendais pas, on s'arrête à un check point militaire. Hall présente sa carte de vétéran de la Seconde Guerre mondiale. On nous laisse passer. Nous entrons sur une base militaire de l'U.S. Army. On va d'abord y voir les restes d'un vieux fort du XIXe siècle, les ruines, quelques murs de pierres ridées. Ici, il y avait une garnison. Impressionnant. Ce lieu est parfumé du passé et des films dont l'écho résonne en moi. Un témoignage de l'histoire. Un vrai fort de la cavalerie. Je salue le lieutenant Blueberry - « Fort Navajo » de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud, ainsi que John Wayne et Henry Fonda - « Massacre à Fort Apache » de John Ford. On s'éloigne un peu des habitations. On gare la voiture. Des arbres, des herbes sauvages, à l'écart, isolé, un cimetière. Un cimetière très ancien, du XIXe siècle. Un cimetière de prisonniers de guerre, des guerres indiennes. Hall me montre une tombe, décorée d'une pyramide de pierres ocres et rondes empilées les unes sur les autres, un monticule typique de la région si j'ai bien compris. C'est la tombe de Geronimo, le célèbre chef et guerrier Apachi. Géronimo, dit « Celui qui baille », né en 1829 au Nouveau-Mexique et mort prisonnier ici, à Fort Sill, Oklahoma, en 1909. Géronimo qui s'est battu pour les droits et la liberté de son peuple. Trente-six ans après sa mort, ses ennemis se battront pour la libération du mien. A côté de sa tombe, se trouve celle de sa fille. Je suis sur la tombe de Géronimo l'Apachi. Silence. 


Prochain texte = Le jour où l'on m'a parlé de Rickey.

Autres textes sur Amazon = "Résonances fragmentées" et "Bienvenue en Hippolie, une autre démocratie" et "La cigale n'a pas dit son dernier mot" (textes jeunesse pour les 6-8 ans).

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